• La campeuse

    Simone était une de ces jeunes femmes comme on n'en voit plus de nos jours. Elevée par des parents très austères, elle en avait gardé une profonde pudibonderie. Son entourage le remarquait surtout dans sa façon de se vêtir. En hiver, elle portait des robes longues, se chaussait de bottes de cuir. En été, elle s'habillait plus court, mais n'omettait jamais de boutonner ses vêtements jusqu'au cou. Par contre, la nuit, elle libérait ses fantasmes et se montrait à Pierre en nuisette de tulle blanche ou en teddy de dentelles noires. Son mari, comblé, l'avait toute à lui, rien qu'à lui. 
     
    Cet été là, ils décidèrent de camper aux "Flots Bleus". La plage, l'odeur salée du vent, et surtout le chant des cigales leur promettaient des vacances calmes et reposantes. 
     
    Couchée sur un lit de camp large mais un peu grinçant, Simone pensait à la longue route qu'ils venaient d'effectuer dans leur petite 2 CV, aux embouteillages interminables, à la chaleur accablante, quand une envie incontrôlable d'aller aux toilettes la saisit. Elle se retint une bonne heure. Mais cette envie la tenaillait, l'oppressait, l'empêchait de dormir. Sachant qu'elle ne pourrait pas rester ainsi jusqu'au matin, elle se leva, mit ses pantoufles, jeta sa robe de chambre sur sa nuisette et sortit dans la nuit. Elle était très gênée. 
     
    Seul, un croissant de lune éclairait le camping endormi. Il faisait bien noir. Personne ne la verrait ! 
     
    Elle se dirigea d'un pas décidé vers les sanitaires dont l'ombre épaisse colorait l'obscurité de la nuit. Elle n'avait fait que quelques pas quand elle vit avec effroi deux yeux qui arrivaient sur elle en aboyant. Heureusement, le chien bientôt suivi de son maître se mit à lui faire des fêtes. Elle serra un peu plus sa robe de chambre, remonta son col. Un peu plus loin, quelques gamins qui rentraient chez eux la bousculèrent. 
     
    - Décidément, se dit-elle, moi qui croyais ne rencontrer personne ! 
     
    De retour à la tente, elle se déshabilla et, sans réveiller Pierre, se recoucha. Elle se lova contre son mari, rechercha sa chaleur, le contact de sa peau. Pierre se retourna, la prit dans ses bras, murmura quelques mots, l'embrassa. Elle sentit couler en elle un bien-être voluptueux et plongea dans un profond sommeil. 
     
    Les pleurs d'un bébé voisin la réveillèrent. 
     
    - Espérons qu'il ne pleure pas toutes les nuits, soupira-t-elle. 
     
    Un rayon de jour entrait jusqu'à son lit. Elle ouvrit les yeux, étouffa un cri de surprise. Elle s'était trompée de tente ! Se levant d'un bond, elle enfila ses pantoufles, sa robe de chambre et s'enfuit furtivement. 
     
    Elle heurta Pierre qui la cherchait dans tout le camping. Elle lui raconta son aventure. Il ne la crut pas et entra dans une colère noire. Le ton monta, la dispute s'envenima. 
     
    Les autres vacanciers, attirés par le bruit de leurs voix, sortirent de leur tente pour contempler ce spectacle grotesque de deux époux se querellant. 
     
    Et Simone fit leur connaissance, au milieu de l'allée, en robe de chambre déboutonnée.